Incroyable ! On meurt à la guerre…
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Incroyable ! On meurt à la guerre…
Jean-Dominique Merchet - Marianne Jeudi 21 Février 2013
Le discours des médias sur les opérations militaires au Mali témoigne d’une méconnaissance stupéfiante de ce qu’est le fait guerrier. A la fois mortel et ennuyeux.
Incroyable ! On meurt à la guerre…
« La guerre se durcit. Un soldat français tué au Mali ». Ces mots font peur à lire. Peur parce qu’ils sont le titre d’un journal sérieux, en l’occurrence Le Monde (1). Peur parce qu’ils témoignent d’un manque de recul sur ce qu’est la guerre. Toute notre époque médiatique est là : dans le perte de la mesure et, disons-le, du sens commun. Un mort à la guerre et la voilà qui se durcit ! On se pince…
Il se trouve qu’en effet, on meurt à la guerre. C’est même une vieille histoire, qui remonte plus haut que le néolithique. Les soldats ne s’en étonnent pas. S’ils pleurent leurs camarades tombés au champ d’honneur, l’évocation d’un « durcissement » de la guerre, après qu’un sergent-chef des commandos a été mortellement touché, ne provoquerait que soupirs ou éclats de rires dans les popotes. Plus que jamais, les médias ressemblent à ces fidèles que Bossuet moquaient dans ses sermons : « On n’entend dans les funérailles que des paroles d’étonnement de ce que ce ce mortel est mort ».
La nouveauté radicale des guerres contemporaines est bien que les militaires y meurent peu. Mais de là à s’étonner qu’il y ait encore des morts… Pour s’en tenir aux Français, depuis le 11 janvier, deux militaires ont été tués dans les combats du Mali. En Libye, aucun mort ni blessé. En Afghanistan, 88 morts mais en dix ans… Comparons simplement ce chiffre aux 24.000 militaires décédés durant la guerre d’Algérie, sur une période plus courte. Sans parler des 900 morts par jour de la Première guerre mondiale.
Certes, tout ce qui est rare est cher. La perte d’un seul militaire est ainsi devenu un événement national – qui justifie un tweet de l’Elysée et une cérémonie officielle. Il est légitime que la nation honore ceux qui tombent en son nom, mais l’émotion ne doit pas systématiquement prendre le pas sur la raison. Si l’on s’engage dans un conflit armé – et l’on doit s’interroger sur la nécessité de le faire – il faut quand même en accepter les conséquences. Et la première d’entre elles, c’est qu’il y aura des morts et que la guerre ne se durcira pas au deuxième d’entre eux.
Cette attitude infantile, qui consiste à s’étonner de la conséquence de ses actes, on la retrouve malheureusement dans les piaillements de la presse sur la couverture des événements du Mali. Lundi, un autre journal sérieux, Libération, titrait : « Où est passé la guerre ? » Sous-entendu : on nous cache tout, on nous dit rien. Le gouvernement et l’armée ne communiquent pas et les journalistes ne peuvent pas travailler correctement. Le reportage en zone de guerre est un exercice compliqué, dangereux. Et le dialogue entre militaires et journalistes est par nature l’objet de tensions. Les uns ont besoin des autres et réciproquement, car une guerre moderne se gagne aussi sur le terrain médiatique.
Mais la guerre - tous les militaires de tous les temps l’ont toujours su – est essentiellement faite de longs moments d’ennuis au cours desquels il ne se passe rien et de très brefs moments d’action, de violence et de peur. Ce sont eux, et eux seulement, qui intéressent les médias. Or, la réalité des opérations au Mali – sur lesquelles on dispose d’informations très complètes – est qu’il y a peu d’opérations... et, qui plus est, qu’elles se déroulent sur un territoire immense. Quelques patrouilles des forces spéciales dans le nord-est. Parfois un accrochage. Des frappes aériennes ciblées. Au fond, pas grand chose à montrer.
Prenons une frappe aérienne : qu’est ce que c’est ? L’imagination du public, nourrie de films de guerre, nous fait volontiers imaginer un avion arrivant dans un grand vacarme et larguant ses bombes sur une colonne de pick-up en fuite. Vous n’y êtes pas ! Si vous êtes en l’air, c’est un échange de coordonnées sur ordinateur, le « clang » que fait la munition quand elle se détache pour se diriger vers sa « target » à plus de dix de kilomètres. Si vous êtes au sol, vous ne voyez pas la bombe arriver et soudain c’est une grosse explosion. Personne ne s’est même rendu compte qu’un avion était là… Efficace, mais moins spectaculaire qu’un Stuka en piqué toute sirène hurlante.
On nous dit rien, on nous cache tout ? Faisons simplement l’effort de comprendre que les guerres réelles ne sont pas celles que nous fantasmons. On y meurt toujours, mais ce n’est pas non plus le grand barnum auquel les médias aspirent.
Précision : mon propos ne vise évidemment que les grands titres des journaux mentionnés, mais en aucun cas le contenu des articles à l'intérieur, qui sont évidemment bien informés et nuancés.
(1) Le titre complet de la Une du journal daté du jeudi 21 février est « Otages, combats rapprochés : la guerre se durcit. Une famille française enlevée dans la nord du Cameroun, un soldat français tué au Mali. »
Le discours des médias sur les opérations militaires au Mali témoigne d’une méconnaissance stupéfiante de ce qu’est le fait guerrier. A la fois mortel et ennuyeux.
Incroyable ! On meurt à la guerre…
« La guerre se durcit. Un soldat français tué au Mali ». Ces mots font peur à lire. Peur parce qu’ils sont le titre d’un journal sérieux, en l’occurrence Le Monde (1). Peur parce qu’ils témoignent d’un manque de recul sur ce qu’est la guerre. Toute notre époque médiatique est là : dans le perte de la mesure et, disons-le, du sens commun. Un mort à la guerre et la voilà qui se durcit ! On se pince…
Il se trouve qu’en effet, on meurt à la guerre. C’est même une vieille histoire, qui remonte plus haut que le néolithique. Les soldats ne s’en étonnent pas. S’ils pleurent leurs camarades tombés au champ d’honneur, l’évocation d’un « durcissement » de la guerre, après qu’un sergent-chef des commandos a été mortellement touché, ne provoquerait que soupirs ou éclats de rires dans les popotes. Plus que jamais, les médias ressemblent à ces fidèles que Bossuet moquaient dans ses sermons : « On n’entend dans les funérailles que des paroles d’étonnement de ce que ce ce mortel est mort ».
La nouveauté radicale des guerres contemporaines est bien que les militaires y meurent peu. Mais de là à s’étonner qu’il y ait encore des morts… Pour s’en tenir aux Français, depuis le 11 janvier, deux militaires ont été tués dans les combats du Mali. En Libye, aucun mort ni blessé. En Afghanistan, 88 morts mais en dix ans… Comparons simplement ce chiffre aux 24.000 militaires décédés durant la guerre d’Algérie, sur une période plus courte. Sans parler des 900 morts par jour de la Première guerre mondiale.
Certes, tout ce qui est rare est cher. La perte d’un seul militaire est ainsi devenu un événement national – qui justifie un tweet de l’Elysée et une cérémonie officielle. Il est légitime que la nation honore ceux qui tombent en son nom, mais l’émotion ne doit pas systématiquement prendre le pas sur la raison. Si l’on s’engage dans un conflit armé – et l’on doit s’interroger sur la nécessité de le faire – il faut quand même en accepter les conséquences. Et la première d’entre elles, c’est qu’il y aura des morts et que la guerre ne se durcira pas au deuxième d’entre eux.
Cette attitude infantile, qui consiste à s’étonner de la conséquence de ses actes, on la retrouve malheureusement dans les piaillements de la presse sur la couverture des événements du Mali. Lundi, un autre journal sérieux, Libération, titrait : « Où est passé la guerre ? » Sous-entendu : on nous cache tout, on nous dit rien. Le gouvernement et l’armée ne communiquent pas et les journalistes ne peuvent pas travailler correctement. Le reportage en zone de guerre est un exercice compliqué, dangereux. Et le dialogue entre militaires et journalistes est par nature l’objet de tensions. Les uns ont besoin des autres et réciproquement, car une guerre moderne se gagne aussi sur le terrain médiatique.
Mais la guerre - tous les militaires de tous les temps l’ont toujours su – est essentiellement faite de longs moments d’ennuis au cours desquels il ne se passe rien et de très brefs moments d’action, de violence et de peur. Ce sont eux, et eux seulement, qui intéressent les médias. Or, la réalité des opérations au Mali – sur lesquelles on dispose d’informations très complètes – est qu’il y a peu d’opérations... et, qui plus est, qu’elles se déroulent sur un territoire immense. Quelques patrouilles des forces spéciales dans le nord-est. Parfois un accrochage. Des frappes aériennes ciblées. Au fond, pas grand chose à montrer.
Prenons une frappe aérienne : qu’est ce que c’est ? L’imagination du public, nourrie de films de guerre, nous fait volontiers imaginer un avion arrivant dans un grand vacarme et larguant ses bombes sur une colonne de pick-up en fuite. Vous n’y êtes pas ! Si vous êtes en l’air, c’est un échange de coordonnées sur ordinateur, le « clang » que fait la munition quand elle se détache pour se diriger vers sa « target » à plus de dix de kilomètres. Si vous êtes au sol, vous ne voyez pas la bombe arriver et soudain c’est une grosse explosion. Personne ne s’est même rendu compte qu’un avion était là… Efficace, mais moins spectaculaire qu’un Stuka en piqué toute sirène hurlante.
On nous dit rien, on nous cache tout ? Faisons simplement l’effort de comprendre que les guerres réelles ne sont pas celles que nous fantasmons. On y meurt toujours, mais ce n’est pas non plus le grand barnum auquel les médias aspirent.
Précision : mon propos ne vise évidemment que les grands titres des journaux mentionnés, mais en aucun cas le contenu des articles à l'intérieur, qui sont évidemment bien informés et nuancés.
(1) Le titre complet de la Une du journal daté du jeudi 21 février est « Otages, combats rapprochés : la guerre se durcit. Une famille française enlevée dans la nord du Cameroun, un soldat français tué au Mali. »
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