L’Histoire est parfois très étrange
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L’Histoire est parfois très étrange
Le 11 janvier 2013 lors de la première phase de l’opération Serval consistant, en appui des forces armées maliennes, à stopper l’avancée des groupes djihadistes vers le Sud du Mali, le lieutenant Damien Boiteux a été mortellement blessé alors qu’il était aux commandes de son hélicoptère Gazelle. Agé de 41 ans, pacsé et père d’un enfant, il a été tué dans l’accomplissement de sa mission au service de la France.
16 décembre 1893 : Le lieutenant de vaisseau Boiteux occupe Tombouctou
16 décembre 1893 : Le lieutenant de vaisseau Boiteux occupe Tombouctou
Re: L’Histoire est parfois très étrange
Sait on comment il a été tué ? Tir ennemi ou accident ?
Wearing of the Grey- Admin_adjoint
- Messages : 1100
Date d'inscription : 09/01/2013
Localisation : Nord/Pas-de-Calais
Re: L’Histoire est parfois très étrange
L’opération Serval, a pour but d’arrêter l’offensive jihadiste et empêcher les groupes islamistes de nuire et de protéger les ressortissants français et européens au Mali. La décision d’intervenir a été confortée par des informations obtenues par les moyens de renseignement, selon lesquelles des préparatifs d’une offensive importante vers Mopti et Diabali, avec une concentration importantes de véhicules, ainsi que par les combats intenses ont été menés à Konna par l’armée malienne.
Dans la nuit du 10 au 11 janvier, une première unité française a pris position à Mopti-Sévaré, puis des moyens aéromobiles et aériens ont été engagés. Les premières frappes ont été effectués le 11 janvier à 16 heures par des hélicoptères français, en l’occurence des Gazelle HOT et Gazelle canon de calibre 20mm du 4ème Régiment d’Hélicoptères des Forces spéciales (RHFS). Cette action a permis de stopper une colonne jihadiste. Plusieurs véhicules ont été détruits.
Mais malheureusement, un pilote français, le lieutenant Damien BOITEUX, du 4ème RHFS de Pau, a été mortellement blessé par le tir d’une arme légère d’infanterie. L’officier est décédé des suites de ses blessures à l’hôpital de Mopti.
Par ailleurs, des frappes aériennes ont été réalisés au cours de la nuit et ce matin par les Mirage 2000D du dispositif Epervier, basés au Tchad. Ces appareils sont susceptibles d’être épaulés par des Rafale placés en alerte en France. Les avions de l’armée de l’Air ont visé des concentrations de véhicules ennemis.
Dans la nuit du 10 au 11 janvier, une première unité française a pris position à Mopti-Sévaré, puis des moyens aéromobiles et aériens ont été engagés. Les premières frappes ont été effectués le 11 janvier à 16 heures par des hélicoptères français, en l’occurence des Gazelle HOT et Gazelle canon de calibre 20mm du 4ème Régiment d’Hélicoptères des Forces spéciales (RHFS). Cette action a permis de stopper une colonne jihadiste. Plusieurs véhicules ont été détruits.
Mais malheureusement, un pilote français, le lieutenant Damien BOITEUX, du 4ème RHFS de Pau, a été mortellement blessé par le tir d’une arme légère d’infanterie. L’officier est décédé des suites de ses blessures à l’hôpital de Mopti.
Par ailleurs, des frappes aériennes ont été réalisés au cours de la nuit et ce matin par les Mirage 2000D du dispositif Epervier, basés au Tchad. Ces appareils sont susceptibles d’être épaulés par des Rafale placés en alerte en France. Les avions de l’armée de l’Air ont visé des concentrations de véhicules ennemis.
1894 : les Français arrivaient déjà à Tombouctou
Un entretien avec l'historien Francis Simonis sur la colonisation française du Mali. Sans langue de bois !
1894 : les Français arrivaient déjà à Tombouctou
Francis Simonis, maitre de conférence à l'université d'Aix-en-Provence, est un spécialiste de l'histoire de l'Afrique de l'Ouest, en particulier de la période coloniale au Mali et en Guinée. Pour nous, il revient sur la précédente opération militaire française à Tombouctou et ses conséquences.
Comment s'est déroulé la première conquête de Tombouctou par l'armée française ?
"Depuis l’installation des Français à Bamako en 1883, l’expédition de Tombouctou était dans toutes les têtes, et les lieutenants de vaisseau Jaime et Caron en avaient préparé les voies à bord de canonnières sur le Niger en 1887 et 1889. Les marins rêvaient en effet d’être les premiers à rentrer à Tombouctou.
Le gouvernement n’était pas favorable à de nouvelles conquêtes. Depuis des années, les militaires n’en faisaient qu’à leur tête. Les officiers et sous-officiers étaient le plus souvent sortis avec des rangs médiocres des grandes écoles militaires. Provoquer des combats leur permettait de progresser au tableau d’avancement et parfois d’être décorés.
L’armée coloniale étaient constitué d’officiers et de sous-officiers français et de quelques hommes de troupes encadrant des tirailleurs africains dits sénégalais, mais en majeure partie Bambara recrutés directement dans ce qui était alors le Soudan Français. Les troupes comptaient aussi des spahis et des compagnies de tirailleurs auxiliaires. Elles étaient très bien équipées et relativement bien commandées. L’usage était cependant de laisser les tirailleurs piller les villages conquis, et tous se partageaient le butin, dont de nombreux esclaves, y compris les officiers français qui y trouvèrent des concubines ! J’écrirais volontiers un livre qui s’appellerait Les guerriers polygames de la République sur les officiers de la conquête…
Dès cette époque donc, l’un des principaux problèmes était d’éviter les débordements, pillages et exactions des troupes africaines. Beaucoup en effet ne s’engageait que pour les pillages qu’ils escomptaient mener et compter bien revenir chez eux avec des captifs. Les auxiliaires n’étaient parfois pas payés (ce n’était pas le cas ici), et dans ce cas il fallait bien les mener au pillage pour les rétribuer …
Lors de la campagne 1892-1893, Archinard avait pris Mopti et Djenné. Il avait planifié secrètement la prise de Tombouctou pour la prochaine campagne. La population de Tombouctou, disaient les officiers français, lassée par les pillages et les brimades qui lui étaient infligés par les Touareg, appelait la France à son secours et accueillerait ses troupes en libérateurs.
Archinard fut en fait destitué pendant son congé et Bonnier se retrouva à la tête de la colonie. Il décida alors de prendre Tombouctou. Dès qu’il apprit qu’un gouverneur civil (Grodet) était nommé pour le remplacer, et empêcher les troupes de faire colonne, il partit immédiatement pour Tombouctou sans pouvoir être arrêté.
Le 26 décembre 1893, le colonel Bonnier partit de Ségou par le fleuve à la tête convoi de 300 pirogues, avec environ 400 fusils. Le commandant et futur Maréchal Joffre, du génie, qui avait été envoyé à la colonie pour s’occuper de la voie de chemin de fer alors en construction entre le fleuve Sénégal et le fleuve Niger, fut chargé de rejoindre Tombouctou par voie de terre, avec des effectifs combattants similaires, mais des centaines de porteurs. Dans la colonne Joffre se trouvait celui qui n’était encore que le capitaine Laperrine qui faisait partie de l’escadron de spahis soudanais.
Le lieutenant de vaisseau Boiteux qui commandait la flottille du Niger les avait devancés et devait les attendre à Mopti. Il allait en fait outrepasser ses ordres et laissant ses deux canonnières au mouillage à Kabara, entrait dans Tombouctou le 11 décembre.
Le 28 décembre l’enseigne Aube qui voulait rejoindre son chef fut massacré avec une quinzaine de matelots.
Le colonel Bonnier atteignit la ville le 10 janvier 1894, à l’issue de ce qui fut qualifié alors de « raid merveilleux ». La ville était prise, sans combat, et le drapeau français flottait sur Tombouctou. « C’est l’arme sur l’épaule que la colonne entre dans la ville. Les habitants sont enchantés de son arrivée. Maintenant, ils n’ont plus à craindre les fameux Touaregs, qui d’ailleurs n’ont pas jugé prudent de se montrer » écrit fièrement un membre de l’expédition.
Le 12 janvier, le colonel Bonnier partit en reconnaissance « dans l’intention de débarrasser les environs des nomades qui les infestaient » et de tirer vengeance de la mort de l’enseigne de vaisseau Aube. Pendant trois jours, ce ne furent que razzias et pillages, la colonne s’emparant de plus de 1000 moutons mais aussi de quelques femmes de notables Touareg …
On s’explique mal le sens de cette expédition dirigée par le colonel en personne avec tout son Etat-major ... Le 14 janvier les soldats bivouaquèrent à Tacoubao sans prendre la moindre précaution. Les faisceaux furent formés, et les soldats allumèrent de nombreux feux pour se réchauffer. Le drame eut lieu quelques heures avant le lever du jour : en quelques minutes, le camp fut submergé par les Touareg. Des 14 Européens présents, 11 périrent, dont le colonel et 8 de ses officiers. Plus de 70 tirailleurs furent tués, mais aussi des dizaines de porteurs, domestiques, bergers qui accompagnaient les troupes.
Joffre n’arriva à Tombouctou que le 12 février. De vives polémiques s’élevèrent entre militaire sur la lenteur de sa marche et sur sa propension à se dire le « vainqueur de Tombouctou », titre revendiqué par la famille de Boiteux et celle de Bonnier
Ce que notèrent tous les officiers qui eurent à intervenir dans ce qui est aujourd’hui le nord du Mali, c’est que les troupes africaines très à l’aise et efficace dans les savanes qu’elles connaissaient bien perdaient toute aptitude au combat en milieu désertique. Malgré la supériorité de leur armement, les soldats se montraient le plus souvent pris de panique face à des adversaires courageux, motivés et connaissant bien le terrain.
Pendant près d’un an, il fut pratiquement impossible aux occupants de sortir de Tombouctou, et les escarmouches, coups de mains et attaques surprise se succédèrent pendant des années avant que la région ne fût définitivement « pacifiée ». Il fallut en fait mettre en place des unités méharistes pour intervenir efficacement dans la région.
La conquête de la région débuta réellement en 1896, le long du fleuve Niger, puis, à partir de 1898, après une alternance d’opérations militaires et de négociations, les Touareg Iwllemmedan (Oullimiden) firent leur soumission en janvier 1903 ce qui permit l’occupation effective de la région de Gao où un poste avait été fondé en 1899.
L’occupation de la région de Kidal était plus problématique. Viendrait-elle du Nord, c’est-à-dire de l’Algérie, ou du Sud, à partir du Soudan. ? Lors de la délimitation de frontière de 1905 entre le ministre des Colonies pour l’AOF, et celui de l’Intérieur pour l’Algérie, l’Adagh fut finalement rattaché au Soudan qui s’appelait alors le Haut-Sénégal-Niger. L’Adagh fut occupé sans combat après négociation à la fin de 1908 et un poste fondé à Kidal au début de 1909."
Pourquoi Tombouctou est-elle une ville mythique ?
"La célébrité de Tombouctou est venue en Occident par l’Afrique du nord et le commerce transsaharien. La ville a entretenu des liens anciens avec le Maroc, par exemple. Au XVIe siècle, Tombouctou est une métropole islamique connue dans le monde arabo-musulman tout comme au Sahel. Ses savants, comme le célèbre Ahmed Baba, emmené en captivité au Maroc après la prise de la ville par les Marocains en 1591 était l’un des plus grands lettrés de son temps. On a longtemps vu Tombouctou comme un eldorado d’où partaient d’immenses caravanes et où vivait une population riche et instruite.
En 1825 La Société de Paris décida d’offrir un prix important au premier voyageur qui attendrait Tombouctou, mais aussi en reviendrait. René Caillié y parvint à partir du Sénégal en 1828. Les mots de René Caillé qui dit sa déception sont célèbres : « Revenu de mon enthousiasme, je trouvai que le spectacle que j’avais sous les yeux ne répondait pas à mon attente ; je m’étais fait de la grandeur et de la richesse de cette ville une toute autre idée : elle n’offre, au premier aspect, qu’un amas de maisons en terre, mal construites … »
A titre personnel, et depuis maintenant plus de 25 ans que je voyage au Mali, je me suis toujours interdit de me rendre à Tombouctou et je me suis juré de ne jamais le faire, pour ne pas connaître la déception que tant d’autres ont connue avant moi …Il ne faut pas toucher aux mythes.
On a longtemps rêvé de faire de Tombouctou le débouché du chemin de fer transsaharien dont personne n’a jamais été capable de dire ce qu’il pourrait bien transporter …
Aujourd’hui encore, on cite des chiffres invraisemblables de manuscrits supposés se trouver à Tombouctou, tout comme on fantasme une ville qui aurait compté jadis 100.000 habitants et 20.000 étudiants. C’est en fait extrapoler en considérant que les milliers d’élèves des écoles coraniques qui ânonnaient le Coran, pour peu qu’ils n’aient jamais été aussi nombreux étaient des étudiants. Pourquoi, alors, ne pas dire que la France compte aujourd’hui 12 millions d’étudiants ?"
Que reste-t-il de la colonisation française au Mali ?
"Des traces diverses. La France y a d’abord laissé sa langue, et en partie sa culture. Si la très grande majorité de la population malienne ne maîtrise par le français, notre langue est la aujourd’hui la langue officielle utilisée dans l’enseignement et l’administration, même si un enseignement de base en langue nationale s’est progressivement mis en place, ainsi qu’un enseignement en arabe. Les systèmes scolaires et universitaires maliens sont calqués sur les systèmes français.
Les élites maliennes ont été essentiellement formées en France, mais les regards se tournent aujourd’hui davantage vers les Etats-Unis (cas de l’ancien premier ministre Modibo Diarra
La présence française se marque aussi par le système administratif du pays. Jusqu’à la chute de Moussa Traoré en 1991, celle-ci était à peu de chose près la même qu’à l’époque coloniale, le pays étant divisé en cercles ayant à leur tête un commandant de cercle, les cercles étant à leur tours divisés en arrondissement (dits subdivisions à l’époque coloniale). La politique de décentralisation menée par le président Konaré conduisit à créer environ 700 communes, dont beaucoup reprenaient les limites des anciens cantons coloniaux supprimés à la veille de l’indépendance. L’administration coloniale était une administration de commandement, autoritaire et au besoin brutale. Il serait difficile de dire que les choses ont beaucoup changé …
La colonisation française est présente dans l’espace par les bâtiments qu’elle y a laissés et qui sont toujours utilisés aujourd’hui. Le complexe administratif de Koulouba date ainsi de 1906 : le Président de la République a pris la place du gouverneur. Il en est de même des splendides bâtiments de l’Office du Niger à Ségou.
Le pont barrage de Markala, achevé au lendemain de la seconde guerre mondiale en est un autre exemple. On y trouve les rails du transsahariens relancé par Vichy et dont la gare avait même était construite à Markala !
D’un point de vue militaire, la plupart des camps et bases militaires du pays datent de l’époque coloniale. La gendarmerie malienne a ainsi succédé à la gendarmerie française, dans les mêmes locaux et au départ avec le même personnel.
Les liens militaires sont très forts, me semble-t-il, avec la France. Surtout, l’héritage de l’histoire est fondamental. Pour les Maliens, leurs ancêtres ont sauvé la France au cours des deux guerres mondiales, et il est donc tout naturel que la France vienne aujourd’hui à leur secours. Beaucoup des tirailleurs dits « sénégalais » étaient en effet originaire du Mali actuel, et plusieurs de dizaines de milliers d’entre eux sont morts pour la France, lors des deux grands conflits et des guerres d’Indochine et d’Algérie. L’ancien combattant est donc un personnage clé de la société malienne.
Le professeur Bakari Kamian qui fait autorité dans son pays en matière d’histoire a bien exprimé la matière dont on y perçoit les choses dans son ouvrage : Des tranchées de Verdun à l’église Saint-Bernard. 80.000 combattants maliens au secours de la France (1914-18 et 1939-45), Paris, Karthala, 2001.
Il faut cependant avoir conscience que l’immense majorité de la population malienne d’aujourd’hui est née bien après l’indépendance, puisque la moitié des Maliens a sans doute moins de 25 ans…
L’islam même est en quelque sorte un héritage colonial ! En dehors des populations nomades du nord du Mali : Arabes, Maures, Touaregs et des Peuls, c’est au cours de l’époque coloniale que s’est convertie la majeure partie de la population. Au sud du Mali, en effet, l’islam, présent dès le moyen-âge, était une religion minoritaire professée par une élite intellectuelle et/ou marchande. C’est autour de 1945 seulement que les musulmans ont dépassé en nombre les tenants des cultes de terroir traditionnels, le christianisme étant très minoritaire (quelques % de la population tout au plus).
On le dit peu, mais la célèbre mosquée en terre de Djenné a été construite par l’administration coloniale en 1906 …
Le Mali a aussi hérité de la France sa conception de la laïcité. Cette conception fut ardemment défendue par les pères de l’indépendance, mais on peut se demander si elle est encore d’actualité tant les associations musulmanes pèsent aujourd’hui sur le pouvoir à Bamako."
Jeudi 31 Janvier 2013
Jean-Dominique Merchet
1894 : les Français arrivaient déjà à Tombouctou
Francis Simonis, maitre de conférence à l'université d'Aix-en-Provence, est un spécialiste de l'histoire de l'Afrique de l'Ouest, en particulier de la période coloniale au Mali et en Guinée. Pour nous, il revient sur la précédente opération militaire française à Tombouctou et ses conséquences.
Comment s'est déroulé la première conquête de Tombouctou par l'armée française ?
"Depuis l’installation des Français à Bamako en 1883, l’expédition de Tombouctou était dans toutes les têtes, et les lieutenants de vaisseau Jaime et Caron en avaient préparé les voies à bord de canonnières sur le Niger en 1887 et 1889. Les marins rêvaient en effet d’être les premiers à rentrer à Tombouctou.
Le gouvernement n’était pas favorable à de nouvelles conquêtes. Depuis des années, les militaires n’en faisaient qu’à leur tête. Les officiers et sous-officiers étaient le plus souvent sortis avec des rangs médiocres des grandes écoles militaires. Provoquer des combats leur permettait de progresser au tableau d’avancement et parfois d’être décorés.
L’armée coloniale étaient constitué d’officiers et de sous-officiers français et de quelques hommes de troupes encadrant des tirailleurs africains dits sénégalais, mais en majeure partie Bambara recrutés directement dans ce qui était alors le Soudan Français. Les troupes comptaient aussi des spahis et des compagnies de tirailleurs auxiliaires. Elles étaient très bien équipées et relativement bien commandées. L’usage était cependant de laisser les tirailleurs piller les villages conquis, et tous se partageaient le butin, dont de nombreux esclaves, y compris les officiers français qui y trouvèrent des concubines ! J’écrirais volontiers un livre qui s’appellerait Les guerriers polygames de la République sur les officiers de la conquête…
Dès cette époque donc, l’un des principaux problèmes était d’éviter les débordements, pillages et exactions des troupes africaines. Beaucoup en effet ne s’engageait que pour les pillages qu’ils escomptaient mener et compter bien revenir chez eux avec des captifs. Les auxiliaires n’étaient parfois pas payés (ce n’était pas le cas ici), et dans ce cas il fallait bien les mener au pillage pour les rétribuer …
Lors de la campagne 1892-1893, Archinard avait pris Mopti et Djenné. Il avait planifié secrètement la prise de Tombouctou pour la prochaine campagne. La population de Tombouctou, disaient les officiers français, lassée par les pillages et les brimades qui lui étaient infligés par les Touareg, appelait la France à son secours et accueillerait ses troupes en libérateurs.
Archinard fut en fait destitué pendant son congé et Bonnier se retrouva à la tête de la colonie. Il décida alors de prendre Tombouctou. Dès qu’il apprit qu’un gouverneur civil (Grodet) était nommé pour le remplacer, et empêcher les troupes de faire colonne, il partit immédiatement pour Tombouctou sans pouvoir être arrêté.
Le 26 décembre 1893, le colonel Bonnier partit de Ségou par le fleuve à la tête convoi de 300 pirogues, avec environ 400 fusils. Le commandant et futur Maréchal Joffre, du génie, qui avait été envoyé à la colonie pour s’occuper de la voie de chemin de fer alors en construction entre le fleuve Sénégal et le fleuve Niger, fut chargé de rejoindre Tombouctou par voie de terre, avec des effectifs combattants similaires, mais des centaines de porteurs. Dans la colonne Joffre se trouvait celui qui n’était encore que le capitaine Laperrine qui faisait partie de l’escadron de spahis soudanais.
Le lieutenant de vaisseau Boiteux qui commandait la flottille du Niger les avait devancés et devait les attendre à Mopti. Il allait en fait outrepasser ses ordres et laissant ses deux canonnières au mouillage à Kabara, entrait dans Tombouctou le 11 décembre.
Le 28 décembre l’enseigne Aube qui voulait rejoindre son chef fut massacré avec une quinzaine de matelots.
Le colonel Bonnier atteignit la ville le 10 janvier 1894, à l’issue de ce qui fut qualifié alors de « raid merveilleux ». La ville était prise, sans combat, et le drapeau français flottait sur Tombouctou. « C’est l’arme sur l’épaule que la colonne entre dans la ville. Les habitants sont enchantés de son arrivée. Maintenant, ils n’ont plus à craindre les fameux Touaregs, qui d’ailleurs n’ont pas jugé prudent de se montrer » écrit fièrement un membre de l’expédition.
Le 12 janvier, le colonel Bonnier partit en reconnaissance « dans l’intention de débarrasser les environs des nomades qui les infestaient » et de tirer vengeance de la mort de l’enseigne de vaisseau Aube. Pendant trois jours, ce ne furent que razzias et pillages, la colonne s’emparant de plus de 1000 moutons mais aussi de quelques femmes de notables Touareg …
On s’explique mal le sens de cette expédition dirigée par le colonel en personne avec tout son Etat-major ... Le 14 janvier les soldats bivouaquèrent à Tacoubao sans prendre la moindre précaution. Les faisceaux furent formés, et les soldats allumèrent de nombreux feux pour se réchauffer. Le drame eut lieu quelques heures avant le lever du jour : en quelques minutes, le camp fut submergé par les Touareg. Des 14 Européens présents, 11 périrent, dont le colonel et 8 de ses officiers. Plus de 70 tirailleurs furent tués, mais aussi des dizaines de porteurs, domestiques, bergers qui accompagnaient les troupes.
Joffre n’arriva à Tombouctou que le 12 février. De vives polémiques s’élevèrent entre militaire sur la lenteur de sa marche et sur sa propension à se dire le « vainqueur de Tombouctou », titre revendiqué par la famille de Boiteux et celle de Bonnier
Ce que notèrent tous les officiers qui eurent à intervenir dans ce qui est aujourd’hui le nord du Mali, c’est que les troupes africaines très à l’aise et efficace dans les savanes qu’elles connaissaient bien perdaient toute aptitude au combat en milieu désertique. Malgré la supériorité de leur armement, les soldats se montraient le plus souvent pris de panique face à des adversaires courageux, motivés et connaissant bien le terrain.
Pendant près d’un an, il fut pratiquement impossible aux occupants de sortir de Tombouctou, et les escarmouches, coups de mains et attaques surprise se succédèrent pendant des années avant que la région ne fût définitivement « pacifiée ». Il fallut en fait mettre en place des unités méharistes pour intervenir efficacement dans la région.
La conquête de la région débuta réellement en 1896, le long du fleuve Niger, puis, à partir de 1898, après une alternance d’opérations militaires et de négociations, les Touareg Iwllemmedan (Oullimiden) firent leur soumission en janvier 1903 ce qui permit l’occupation effective de la région de Gao où un poste avait été fondé en 1899.
L’occupation de la région de Kidal était plus problématique. Viendrait-elle du Nord, c’est-à-dire de l’Algérie, ou du Sud, à partir du Soudan. ? Lors de la délimitation de frontière de 1905 entre le ministre des Colonies pour l’AOF, et celui de l’Intérieur pour l’Algérie, l’Adagh fut finalement rattaché au Soudan qui s’appelait alors le Haut-Sénégal-Niger. L’Adagh fut occupé sans combat après négociation à la fin de 1908 et un poste fondé à Kidal au début de 1909."
Pourquoi Tombouctou est-elle une ville mythique ?
"La célébrité de Tombouctou est venue en Occident par l’Afrique du nord et le commerce transsaharien. La ville a entretenu des liens anciens avec le Maroc, par exemple. Au XVIe siècle, Tombouctou est une métropole islamique connue dans le monde arabo-musulman tout comme au Sahel. Ses savants, comme le célèbre Ahmed Baba, emmené en captivité au Maroc après la prise de la ville par les Marocains en 1591 était l’un des plus grands lettrés de son temps. On a longtemps vu Tombouctou comme un eldorado d’où partaient d’immenses caravanes et où vivait une population riche et instruite.
En 1825 La Société de Paris décida d’offrir un prix important au premier voyageur qui attendrait Tombouctou, mais aussi en reviendrait. René Caillié y parvint à partir du Sénégal en 1828. Les mots de René Caillé qui dit sa déception sont célèbres : « Revenu de mon enthousiasme, je trouvai que le spectacle que j’avais sous les yeux ne répondait pas à mon attente ; je m’étais fait de la grandeur et de la richesse de cette ville une toute autre idée : elle n’offre, au premier aspect, qu’un amas de maisons en terre, mal construites … »
A titre personnel, et depuis maintenant plus de 25 ans que je voyage au Mali, je me suis toujours interdit de me rendre à Tombouctou et je me suis juré de ne jamais le faire, pour ne pas connaître la déception que tant d’autres ont connue avant moi …Il ne faut pas toucher aux mythes.
On a longtemps rêvé de faire de Tombouctou le débouché du chemin de fer transsaharien dont personne n’a jamais été capable de dire ce qu’il pourrait bien transporter …
Aujourd’hui encore, on cite des chiffres invraisemblables de manuscrits supposés se trouver à Tombouctou, tout comme on fantasme une ville qui aurait compté jadis 100.000 habitants et 20.000 étudiants. C’est en fait extrapoler en considérant que les milliers d’élèves des écoles coraniques qui ânonnaient le Coran, pour peu qu’ils n’aient jamais été aussi nombreux étaient des étudiants. Pourquoi, alors, ne pas dire que la France compte aujourd’hui 12 millions d’étudiants ?"
Que reste-t-il de la colonisation française au Mali ?
"Des traces diverses. La France y a d’abord laissé sa langue, et en partie sa culture. Si la très grande majorité de la population malienne ne maîtrise par le français, notre langue est la aujourd’hui la langue officielle utilisée dans l’enseignement et l’administration, même si un enseignement de base en langue nationale s’est progressivement mis en place, ainsi qu’un enseignement en arabe. Les systèmes scolaires et universitaires maliens sont calqués sur les systèmes français.
Les élites maliennes ont été essentiellement formées en France, mais les regards se tournent aujourd’hui davantage vers les Etats-Unis (cas de l’ancien premier ministre Modibo Diarra
La présence française se marque aussi par le système administratif du pays. Jusqu’à la chute de Moussa Traoré en 1991, celle-ci était à peu de chose près la même qu’à l’époque coloniale, le pays étant divisé en cercles ayant à leur tête un commandant de cercle, les cercles étant à leur tours divisés en arrondissement (dits subdivisions à l’époque coloniale). La politique de décentralisation menée par le président Konaré conduisit à créer environ 700 communes, dont beaucoup reprenaient les limites des anciens cantons coloniaux supprimés à la veille de l’indépendance. L’administration coloniale était une administration de commandement, autoritaire et au besoin brutale. Il serait difficile de dire que les choses ont beaucoup changé …
La colonisation française est présente dans l’espace par les bâtiments qu’elle y a laissés et qui sont toujours utilisés aujourd’hui. Le complexe administratif de Koulouba date ainsi de 1906 : le Président de la République a pris la place du gouverneur. Il en est de même des splendides bâtiments de l’Office du Niger à Ségou.
Le pont barrage de Markala, achevé au lendemain de la seconde guerre mondiale en est un autre exemple. On y trouve les rails du transsahariens relancé par Vichy et dont la gare avait même était construite à Markala !
D’un point de vue militaire, la plupart des camps et bases militaires du pays datent de l’époque coloniale. La gendarmerie malienne a ainsi succédé à la gendarmerie française, dans les mêmes locaux et au départ avec le même personnel.
Les liens militaires sont très forts, me semble-t-il, avec la France. Surtout, l’héritage de l’histoire est fondamental. Pour les Maliens, leurs ancêtres ont sauvé la France au cours des deux guerres mondiales, et il est donc tout naturel que la France vienne aujourd’hui à leur secours. Beaucoup des tirailleurs dits « sénégalais » étaient en effet originaire du Mali actuel, et plusieurs de dizaines de milliers d’entre eux sont morts pour la France, lors des deux grands conflits et des guerres d’Indochine et d’Algérie. L’ancien combattant est donc un personnage clé de la société malienne.
Le professeur Bakari Kamian qui fait autorité dans son pays en matière d’histoire a bien exprimé la matière dont on y perçoit les choses dans son ouvrage : Des tranchées de Verdun à l’église Saint-Bernard. 80.000 combattants maliens au secours de la France (1914-18 et 1939-45), Paris, Karthala, 2001.
Il faut cependant avoir conscience que l’immense majorité de la population malienne d’aujourd’hui est née bien après l’indépendance, puisque la moitié des Maliens a sans doute moins de 25 ans…
L’islam même est en quelque sorte un héritage colonial ! En dehors des populations nomades du nord du Mali : Arabes, Maures, Touaregs et des Peuls, c’est au cours de l’époque coloniale que s’est convertie la majeure partie de la population. Au sud du Mali, en effet, l’islam, présent dès le moyen-âge, était une religion minoritaire professée par une élite intellectuelle et/ou marchande. C’est autour de 1945 seulement que les musulmans ont dépassé en nombre les tenants des cultes de terroir traditionnels, le christianisme étant très minoritaire (quelques % de la population tout au plus).
On le dit peu, mais la célèbre mosquée en terre de Djenné a été construite par l’administration coloniale en 1906 …
Le Mali a aussi hérité de la France sa conception de la laïcité. Cette conception fut ardemment défendue par les pères de l’indépendance, mais on peut se demander si elle est encore d’actualité tant les associations musulmanes pèsent aujourd’hui sur le pouvoir à Bamako."
Jeudi 31 Janvier 2013
Jean-Dominique Merchet
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